Andreï Piontkovsky. « Une bombe prête à exploser »

Le Parquet Général a relevé des appels au séparatisme et des signaux d’incitation à la haine (articles 280 et 282 du code pénal), dans ce billet publié le 23 janvier 2016 sur le site « Echo de Moscou ». Tous les éléments de l’enquête ont été transmis au FSB. Piontkovsky a quitté la Russie, préférant éviter les représailles. Le site de L’Echo a censuré l’article en supprimant les dernières phrases qui abordent la nécessité d’octroyer l’indépendance de la Tchétchénie.


« 
Arrêter le mécanisme de la bombe à retardement est possible seulement si la Russie quitte immédiatement le giron tchétchène. Il faut impérativement proposer à la République Tchétchène une indépendance étatique complète, avec toutes les conséquences juridiques que cela implique pour nos relations bilatérales.  »

Andreï Piontkovsky. « Une bombe prête à exploser »

Le Parquet Général a relevé des appels au séparatisme et des signaux d’incitation à la haine (articles 280 et 282 du code pénal), dans ce billet publié le 23 janvier 2016 sur le site « Echo de Moscou ». Tous les éléments de l’enquête ont été transmis au FSB. Piontkovsky a quitté la Russie, préférant éviter les représailles. Le site de L’Echo a censuré l’article en supprimant les dernières phrases qui abordent la nécessité d’octroyer l’indépendance de la Tchétchénie.

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Beaucoup de raisons m’obligent à reprendre mon article écrit l’année dernière et intitulé « Projet Kadyrov ». Parce qu’il devient de plus en plus d’actualité, c’est effarant.

Je commencerai exactement de la même manière, avec les mots prophétiques de mon professeur de politique Dmitri Efimovitch Fourman, exposés dans son remarquable travail « Le peuple le plus difficile pour la Russie ». Ce travail fut publié la veille du lancement de l’opération « Héritier » qui marqua le début de la seconde guerre de Tchétchénie.

« La déportation des Tchétchènes en 1944 représente pour la conscience de ce peuple à peu près la même chose que le génocide perpétré par Hitler aux yeux des Juifs ou le massacre de 1915 pour les Arméniens. C’est un traumatisme effroyable, et la peur qu’une telle possibilité ne se reproduise obsède chaque Tchétchène. Les calamités de la guerre ont ravivé cette peur.

Même si nous imaginons que, par je ne sais quel miracle, nous avions réussi à soumettre la Tchétchénie pour la ramener au sein de la Fédération, cela aurait fait de la Russie un homme dont la bombe qu’il porte en lui finira tôt ou tard par exploser ».

Nous avons bel et bien ramené la Tchétchénie dans la Fédération mais aujourd’hui, alors que le tic-tac de la bombe sonne à nouveau aux oreilles de chacun, nous sommes tenus de dégager des solutions pour l’avenir de nos relations avec le peuple le plus difficile pour la Russie.
Commençons par ce miracle, grâce auquel nous avons tant bien que mal récupéré la Tchétchénie à la suite de la seconde guerre. Ce miracle a un créateur : V.V. Poutine, et porte un nom : Kadyrov.

Pourquoi avons-nous fait la guerre à deux reprises en Tchétchénie ? Pour l’intégrité territoriale de la Russie. Pour une Tchétchénie au sein de la Russie. Or l’intégrité territoriale, ce n’est pas une terre brûlée vidée de ses habitants. Nous avons combattu pour prouver aux Tchétchènes qu’ils sont des citoyens de la Russie. Mais pour cela nous avons rasé leurs villes et villages avec notre aviation et artillerie lourde (« En plein champ les lance-roquettes ‘Grad’, à nos côtés Poutine et Stalingrad »[1]), nous avons enlevés des civils, dont les cadavres ont été retrouvés accablés de traces de torture.

Nous n’avons pas arrêté de montrer aux Tchétchènes l’exact contraire de ce que nous proclamions : nous leur avons à tous prouvé par notre comportement que nous ne les considérions pas comme des citoyens de Russie ; que depuis longtemps nous ne les considérions pas, eux et leurs villes, comme appartenant à la Russie. Et ce n’est pas qu’aux seuls Tchétchènes que nous l’avons prouvé avec force persuasion, mais à tous les Caucasiens. Ils ont bien appris nos leçons.

On a très souvent rappelé, et on le fait encore, à Monsieur Poutine cet appel pathétique et scatologique [2] qui a permis l’ancrage de la seconde guerre dont l’issue s’est avérée bien triste pour la Russie. Il faut lui rendre hommage ; s’étant retrouvé après quelques années d’une guerre sanglante – et engagée pour mieux accéder au pouvoir – à devoir choisir entre le très mauvais et l’innommable, le Président a choisi le très mauvais.

Après avoir reconnu sa déroute, Poutine a donné les plein-pouvoirs en Tchétchénie à Kadyrov et son armée, et lui verse une contribution sous forme de transferts de fonds publics. En échange, Kadyrov déclare formellement sa loyauté au Kremlin, mais aussi son union personnelle avec Poutine.

L’innommable aurait été de poursuivre la guerre, jusqu’à l’élimination totale du peuple tchétchène. A la Shamanov, à la Boudanov [3] .

Depuis sa défaite, le Kremlin paie en échange d’une soumission de façade un tribut non seulement à Kadyrov, mais à l’ensemble des élites criminelles des autres Républiques, dont on achète des palais et des pistolets en or pour les chefs locaux. Les jeunes montagnards sans emploi partent pour faire la guerre au nom d’Allah ou migrent du Caucase vers les villes russes. Dans les appartements déprimants de Biriouliovo [4] , a grandi une génération d’enfants dont les parents ont absolument et à jamais tout perdu au nom de deux décennies de réformes économiques. Entre la jeunesse russe et celle caucasienne, qui a grandi depuis l’enfance dans des conditions de guerre – d’abord en Tchétchénie puis dans tout le Caucase – s’est creusé un gouffre béant.

Les jeunes moscovites sortent dans les rues en criant « Assez de nourrir le Caucase ! », alors que les jeunes caucasiens se comportent de manière insolente voire agressive en rue. C’est une véritable psychologie de vainqueur qui s’est développée en eux. Dans leur imagination, Moscou a perdu la guerre du Caucase et ils se conduisent donc en conséquence dans la capitale vaincue. Dans leurs esprits et leurs cœurs, Caucase et Russie s’éloignent à toute vitesse l’un de l’autre. Cela dit, ni le Kremlin ni les « élites » du Nord-Caucase ne sont prêts à se séparer formellement.

Le Kremlin reste ancré dans de reminiscentes chimères impériales, aspirant à de vastes zones d’intérêts privilégiés, loin des frontières de la Russie ; que ce soit une Horde eurasienne, dont Poutine rêve de devenir Khan à vie, que ce soit le « monde russe » en perpétuelle expansion au détriment de ses voisins, que ce soit les sanctuaires orthodoxes syriens. Et les roitelets locaux, à commencer par Kadyrov, se voient mal renoncer aux tribus versés par Moscou.

Par un brutal coup du sort, la marche post-impériale pour une « Tchétchénie au sein de la Russie » vire au cauchemar, celui d’une « Russie au sein de la Tchétchénie ». Cette illusion hypocrite, humiliante pour la Russie, ne peut durer éternellement, et il n’y a pas d’issues possibles dans le cadre de la diarchie régnante Poutine-Kadyrov. Les Siloviki , à qui l’on a volé la victoire et qui se sont dès le départ montrées très sceptiques vis-à-vis du projet de Poutine, ont toujours vu une issue possible au problème. Ils ne se sont jamais fit à l’idée d’avoir perdu la Tchétchénie, en tant que zone de pitance et, pire encore, en tant que zone de pouvoir enivrant sur la vie ou la mort. Le projet « Kadyrov » leur a privé de ces deux plaisirs, raison pour laquelle ils ont fini par tout bonnement haïr le président Tchétchène.

L’incompréhension de notre société soi-disant libérale sur l’essence du conflit entre les Siloviki et Kadyrov – dont le meurtre de Nemtsov annonce la couleur – est frappante. Quand on lit les déclarations de la direction du FSB, on peut croire que les cendres de Nemtsov sont venus frapper aux cœurs de ces Messieurs Bortnikov et Patroushev. Leur conscience trouble bouillonne, prête à mener une lutte des plus intransigeantes pour le respect des normes et de la légalité capitaliste. Pour eux le meurtre de Nemtsov n’est pas une raison, mais une occasion de clarifier les liens avec Kadyrov. Et cette occasion, c’est eux-mêmes qui l’ont savamment orchestrée.

Premièrement, il n’aurait pas été possible de commettre un meurtre sur la Place Rouge sans le concours de Hauts fonctionnaires des services de sécurité russes. Ensuite, Zaour Dadaïev, lieutenant de la brigade d’élite « Nord » et principal suspect du meurtre de Nemtsov, n’aurait jamais agi sans ordre de Kadyrov. Celui-ci a pu donner un tel ordre, mais alors à la demande directe de Poutine, ou après avoir reçu des informations en provenance des hautes autorités portant sur le souhait de le voir assassiné.

Ce parti sanguinaire a imaginé, perpétré et aujourd’hui exploite le meurtre de Nemtsov non comme une fin en soi, mais comme un catalyseur pour enfin réaliser ses vieilles ambitions politiques. Les agents de Kadyrov ont bien vite compris que l’ordre de liquider Nemtsov venait directement de sa Sainteté Poutine. L’info était si fiable qu’ils n’ont pas hésité une seule seconde. Les tueurs étaient absolument certains de rester impunis.

L’objectif essentiel de l’attaque concertée par les Siloviki a donc été de discréditer publiquement Kadyrov et son parrain Vladimir Poutine, si celui-ci refusait de le faire tomber. Ce qui lui aurait été très difficile à faire. En effet, la fin du projet Kadyrov impulsée par les Siloviki aurait officiellement signifié la défaite de la Russie dans la seconde guerre de Tchétchénie, et l’ouverture d’un troisième conflit. Cela aurait été un retour à l’année 1999, mais dans une bien plus mauvaise posture, et la délégitimisation complète de Poutine, jusqu’alors considéré comme le sauveur de la Patrie.

Poutine n’a toujours pas fait tomber Kadyrov, obligeant même l’enquête à se limiter à un quelconque chauffeur, considéré depuis comme le principal commanditaire. Il me semble en revanche que les Siloviki, elles, n’ont pas abandonné leurs plans initiaux.

Que signifie le plan Kadyrov aux yeux de la Tchétchénie et à quoi aurait mené son arrêt provoqué par les Siloviki ? Sous la toute-puissance des agents fédéraux, n’importe quel Tchétchène pouvait être appréhendé, enlevé, torturé et tué, quels que soit ses actes ou ses opinions. Dans la Tchétchénie d’aujourd’hui, ce destin survient seulement si l’on conteste Kadyrov. C’est un énorme progrès en termes de sécurité des individus. Une différence fondamentale, comparable à celle entre le statut du Juif et celui de l’Allemand sous le IIIè Reich. Et c’est justement ce changement radical qui a créé la base du soutien à Kadyrov. Bien sûr, durant toutes ses années au pouvoir, des ennemis jurés sont apparus, mais toute tentative de revenir à l’ancien arbitraire des agents fédéraux, rassemble désormais la société tchétchène autour d’une résistance farouche.

L’assassinat de Djambulat Dadaïev, perpétré à Grozny par des agents du Ministère de l’Intérieur, est un révélateur très parlant de ces changements tant convoités par les Siloviki. Malgré les déclarations mensongères du Ministère faites après le meurtre, il est apparu clairement que les tueurs n’étaient pas venus soutenir l’accusé, mais liquider la victime. C’est une pratique routinière, quotidienne, que les silovikis ont appliqué pendant des années en Tchétchénie, et qu’ils utilisent au Daghestan et dans d’autres Républiques du Nord-Caucase. Ces exécutions sont tellement ordinaires, qu’on en diffuse souvent l’information sur les chaines fédérales. Visiblement dans le but de sensibiliser la jeunesse au patriotisme. Kadyrov a mis un frein à ce genre de safaris organisés en Tchétchénie pour les fédéraux. Il s’est réservé ce privilège pour lui tout seul. Et les Tchétchènes ne veulent pas être à nouveau rétrogradés du statut d’Allemand à celui de Juif du IIIè Reich, ils se battraient face à cette perspective. Avec ou sans Kadyrov.

Voici quelques déclarations des plus connus parmi les Tchétchènes, de Kadyrov à Zakaïev, faites après l’assassinat à Grozny :

« Les années 2000 sont derrière nous. A l’époque, il suffisait d’embarquer un Tchétchène et de le tuer pour « faire du résultat ». Ça ne se passera plus comme ça. Ça suffit. On nous a humiliés, insultés. Nous n’avons pas adopté la Constitution pour nous faire tuer ».

« Dans la mémoire collective, les exécutions arbitraires sont encore assez vivaces, de même que les arrestations illégales, les actes de tortures, et autres violations massives des Droits de l’homme, perpétrés par des inconnus masqués, en voiture ou en véhicule blindé banalisé, à l’encontre de la population locale. 5 milles personnes ont disparu, des centaines de milliers ont été tuées ».

« Au jour d’aujourd’hui la population soutien évidemment Kadyrov. Il bénéficie de la loyauté des Tchétchènes principalement parce qu’il les protège. Les gens assimilent la fin du nettoyage criminel et de l’arbitraire qui régnait en Tchétchénie au nom de Kadyrov ».

Les nettoyages et meurtres de masse ont été perpétrés en Tchétchénie au nom du pouvoir russe durant des siècles. On se rappelle tous du témoignage de cet officier russe qui a pris part à cette interminable guerre du Caucase : les vieillards se réunissaient sur les places de villages et s’accroupissaient pour discuter de leur situation. Personne ne parlait de la haine vis-à-vis des Russes. Le sentiment que nourrissaient tous les Tchétchènes, du plus petit au plus grand, était plus fort que de la haine. Ce n’était pas de la haine, mais plutôt un refus de reconnaître ces chiens russes comme des êtres humains, c’était une telle aversion, une telle répulsion et incompréhension devant la cruauté absurde de ces créatures que l’envie d’exterminer ces rats, ces araignées venimeuses, ces loups, était un sentiment aussi naturel que l’instinct de conservation.

J’ai lu Hadji-Mourat dans mon enfance, mais j’ai compris il n’y a pas si longtemps le sens de ces mots si durs et si cruels pour la conscience russe. Je l’ai compris après le meurtre d’Anna Politkovskaïa, l’enquête qui a suivi, et le jugement prononcé à l’encontre des exécutants. Anna était une sainte, elle qui relatait la vérité sur les crimes du pouvoir russe en Tchétchénie. Sa place se trouve dans l’Allée des Justes de la céleste Jérusalem. Ses lignes étaient parcourues d’une douleur insoutenable, de souffrances qui déchirent le corps et l’esprit des victimes. Alors qu’ils brûlaient en Enfer, Anna leur a redonné de la compassion et de la dignité après leur mort. Ce sont les salauds de russes au pouvoir qui ont commandité et organisé son assassinat. Les meurtriers ont reçu le soutien logistique de deux groupes issus du Ministère de l’Intérieur et du FSB, mais ce sont bien des Tchétchènes qui l’ont tuée.

Ni son meurtre, ni la divulgation des noms des meurtriers n’ont ébranlé la société tchétchène. Elle est restée absolument indifférente au destin funeste d’Anna. Elle était plus préoccupée à s’abriter du jugement de Roustam Makhmoudov qui a abattu Anna. Cela me semblait inconcevable, jusque à ce que je compris finalement une chose simple : Poutine, comme Politkoskaya et comme nous tous, sommes pour un grand nombre de Tchétchènes perçus indistinctement. Lui, comme elle, comme nous tous, par le fait-même de notre naissance, appartenons à cette catégorie de créatures pour lesquelles ils ont éprouvé un sentiment plus intense encore que la haine. Pour eux Poutine est un Giaour bien utile, le parrain moderne de ces créatures, avec qui il faut mener d’importantes négociations et conclure des contrats. Lui apporter en cadeau d’anniversaire la tête d’une insignifiante mais honnie journaliste peut s’avérer être une manœuvre tactique profitable pour l’ethnie tchétchène.

C’est la même histoire avec Nemtsov. Copie conforme. Assurément, il avait réuni un million de signatures à Nizhni-Novgorod, les avait présentées au Kremlin et fait beaucoup pour mettre fin à la première guerre de Tchétchénie…

Après tout ce que les Romanov, les Ermolov, les Stalines et Eltsines, les Poutines et Shamanov, ce sentiment devint si asservissant pour les Tchétchènes qu’ils ne se foulent plus pour accepter la nuance. Deux ethnies dont les relations sont à ce point tendues ne peuvent vivre dans un seul Etat. Le projet « Kadyrov », avec sa bombe à retardement, a repoussé le problème d’une décennie, mais son temps est écoulé.

Les dernières sorties médiatiques insensées des kadyroviens dressent contre eux une grande partie de la société russe, malgré que leurs menaces ne soient adressées qu’aux libéraux. Elles font le jeu des Siloviki, qui peuvent désormais s’appuyer sur le large soutien de la société pour exiger que Poutine se débarrasse de Kadyrov.

L’histoire du député de Krasnoïarsk a jeté encore un peu plus d’huile sur le feu, lorsque la diaspora tchétchène a forcé le politicien à s’excuser auprès de Kadyrov. En somme, Poutine paraît jouer le rôle d’un homme esseulé qui protège le dirigeant tchétchène « fort peu » apprécié du peuple russe. C’est le moins que l’on puisse dire.

Kadyrov fait une grossière erreur, en surestimant la capacité de Poutine à maintenir la situation sous contrôle, tant le patron parait dans une position extrêmement fragile ; sur fond d’isolation externe – mais aussi de plus en plus interne – et sur fond de crise économique. Par ses menaces et déclarations abruptes, Kadyrov n’aide vraiment pas le boss. Pire encore, il accentue son isolation en opposant Poutine aux solivikis [5] , aux libéraux proches du pouvoir et à la société russe entière.

Comme on le sait, l’un des leaders de l’opposition officieuse, Alexeï Navalny, a déjà accusé Kadyrov de vouloir formaliser la séparation de la Tchétchénie pour créer un Etat islamique :

« Je vais répéter ce que j’ai déjà souvent dit : l’objectif stratégique de Kadyrov est de quitter la Russie et de créer son Etat autoritaire sous couvert de slogans islamiques. Il attend seulement le moment où il n’y aura plus d’argent dans le budget ».

Des mots en or aux oreilles de nos Siloviki, qui rêvent depuis longtemps de couper court au projet « Kadyrov ». Le voilà, ce large soutien populaire, sur lequel elles peuvent prendre appui pour déclencher une troisième guerre. Prévenir la trahison de Kadyrov, prévenir sa fuite hors de Russie en emportant avec lui la république tchétchène toute entière, c’est ce dont nous t’avons tous averti avec patriotisme, Vladimir Vladimirovitch. Nous et les leaders de l’opposition.

Pour des raisons que j’ignore, ce jour-là Navalny écrit sur son blog un billet titré « Comment les Tchétchènes se sont battus aux côtés d’Hitler », poussant le lecteur à justifier le génocide de 1944.

Difficile de se débarrasser de l’impression que Navalny prépare en toute connaissance de cause ses nombreux sympathisants à soutenir les plans des Silovikis sur un énième « rétablissement de l’ordre constitutionnel ». Il ne le fait pas sur ordre de quelqu’un, cela va sans dire. Il le fait en vertu de convictions fondamentales. Le politicien a beau se préparer à diriger le pays, il ne comprend pas qu’un tel scénario serait catastrophique pour la Tchétchénie, mais surtout pour la Russie.

Ce n’est pas au retour de l’off-shore totalitaire de Kadyrov dans notre « état de droit » poutinien, après une troisième guerre encore plus sanglante, qu’il faut penser. Il faut penser à nous libérer de cette obsession impériale qui nous contraint depuis trois siècles à lacérer d’obus un petit bout de territoire, habité par un peuple insoumis et « le plus difficile pour nous ».

Arrêter le mécanisme de la bombe à retardement est possible seulement si la Russie quitte immédiatement le giron tchétchène. Il faut impérativement proposer à la République Tchétchène une indépendance étatique complète, avec toutes les conséquences juridiques que cela implique pour nos relations bilatérales.

 

[1] Refrain d’une chanson du collectif musical Bely Oryol

[2] Référence à la célèbre phrase de Poutine au sujet des terroristes : « Nous pourchasserons les terroristes partout. S’ils sont à l’aéroport, ça sera à l’aéroport. Cela veut dire, veuillez m’excuser, que si on les attrape dans les toilettes — on les butera dans les chiottes »

[3] Militaires russes impliqués dans les atrocités perpétrées en Tchétchénie

[4] District du sud de Moscou

[5] Nom donné au groupe de hauts dirigeants politiques issus d’anciennes structures soviétiques telles que l’armée, les services de sécurité, l’industrie militaire.